i still see it all (abe)

Ses baskets embrassaient le sol à grande vitesse, son coeur battait encore à tout rompre. Un dernier regard derrière elle, pour voir si personne ne l'avait suivi puis elle se rangeait dans un coin d'une ruelle pour jeter un regard dans son sac. Rien. Il n'y avait rien d'anormal dedans. Alors pourquoi les portiques avaient sonné ? Elle soufflait doucement, essayant de se remémorer ce qu'elle avait fait dans le magasin, ce qu'elle avait pu toucher ou prendre. Parce que ça devenait presque mécanique maintenant, elle ne se rendait jamais compte de rien. Mais c'était sûrement une autre personne, pas elle. Elles étaient passés à deux, son amie et elle. C'était la meilleure solution qu'elle pouvait donner, c'était la version qu'elle préférait. Cette fois, elle n'avait rien volé, depuis qu'elle s'était faite attrapée par un vigile, elle se sentait mal à chaque fois qu'elle rentrait dans un magasin et pourtant, elle pourrait y rester des heures dedans. Ça reviendrait, c'était tout récent. La brune ressortait de sa petite ruelle, rejoignant le quartier principal, reprenant un air naturel. Son air à elle, finalement. Son portable entre les deux mains, elle envoyait un sms à son amie qu'elle avait planté en sortant du magasin, lui disant qu'elle avait autre chose à faire, que sa mère l'avait appelé pour une urgence, encore des prétextes bidons qu'elle refilait à un tas de personnes pour un tas de raisons différentes. Elle bousculait deux ou trois personnes avant de relever les yeux et laisser ses iris se poser sur lui. Lui, Abe. Et le temps de quelques secondes leurs regards se croisaient. Ça se ressentait comme des heures dans le crâne de la jeune femme qui décidait de tourner les talons pour ne pas avoir à le croiser. Cinq mois qu'elle fuyait, qu'elle ne donnait plus de nouvelle, qu'elle avait essayé de le rayer de sa vie, simplement le mettre dans un coin et laisser le temps n'en faire qu'un souvenir. Elle pensait Calgary assez grand pour ne pas à avoir à le recroiser, mais c’était visiblement trop espérer. Et il y avait un tas de personnes qui déambulaient, pourquoi n’avait-elle pas croiser le regard de quelqu’un d’autre ? Elle fuyait un problème pour en tomber sur un autre et a choisir, elle aurait préféré ne pas courser.

Mon sac à dos rempli d’achats de Noël sur les épaules, je déambulais dans les rues du quartier principal, mon air d’adolescent au visage malgré que j’avais dépassé la trentaine depuis un moment déjà. C’était sans doute l’effet sac à dos, justement ; quand on me comparait aux autres professionnels avec leur belle valise en cuir, je faisais tache. Mais c’était tellement plus pratique de tout tenir sur son dos que d’avoir les bras fatigués à la fin d’une journée à traîner des sacs entre des doigts sciés par les lanières.  Bref, peu importait. Encore mes réflexions débiles d’adulte révolté par l’importance de l’apparence. C’est Jaimie qui coupa court à mes divagations en s’imposant à moi après l’avoir fait auprès d’autres individus qui nous étaient étrangers en les bousculant l’un après l’autre. Mais nous, nous n’étions pas étrangers, et c’est pourquoi nos regards s’arrêtèrent sur celui de l’autre sans pouvoir continuer leur chemin. J’aurais pourtant préféré pouvoir faire comme si je ne l’avais pas vue, parce que si elle m’avait ignorée pendant des mois après qu’on ait eu un semblant de relation affective, c’était à mon tour maintenant de ne pas avoir envie de lui parler après son silence radio. Pourtant, quand elle tourna les talons et s’enfuit de moi, encore de moi, je n’arrivai pas à me résoudre à la laisser partir. C’aurait sans doute été la plus sage des décisions. C’aurait aussi été un grand regret. Parce que je voulais savoir ce que j’avais fait. Je voulais savoir ce qu’elle avait fait. Ressenti. Regretté. « Hé ! » Criais-je alors, fronçant les sourcils, alors que je savais fort bien qu’un appel ne la ferait pas reculer, ne la ferait pas revenir. Je recommençai donc à marcher, à vive allure, vers elle. Bousculant quelques personnes sur mon passage, à mon tour. Après quelques difficultés à me faufiler aussi bien qu’elle dans la foule, je la rejoignis, commençant à marcher à son rythme, côte à côte avec elle. Jaimie. « Si t’avais pu m’éviter pour toujours t’aurais pu t’en sortir mais là c’pas le cas. J’suis là. Je t’ai vue, Jaimie. » Voyant qu’elle ne s’arrêtait pas, je lui pris doucement – ou peut-être plus fermement que je ne l’aurais voulu … -  le bras pour l’arrêter. « Sérieux ? Je mérite vraiment qu’tu fasses comme si j’existais pas et qu’tu m’effaces de ta vie comme bon te semble ? » Je lui demandais pas le grand amour, je lui demandais même pas qu’on continue sur la nouvelle lancée qu’on avait entreprise. Je lui demandais juste un semblant de respect.

Ne pas écouter ce qu'il disait, ne pas faire attention à s'il la suivait. Elle se répétait ça continuellement, pressant le pas dans l'espoir de ne pas avoir à lui parler. Parce que c'était bien trop gênant et qu'elle n'avait rien à lui dire. Ou peut-être trop de choses qu'elle gardait pour elle et qu'elle préférait préserver, parce que ça serait bien trop gênant pour les deux, qu'elle ne voulait pas se retrouver dans une situation pareille. Alors, la fuite avait été la bonne solution et même maintenant, elle essayait de se persuader que d'agir comme ça, comme une gamine, ça aidait à régler le problème. Elle ne tournait pas le regard quand il arriva à ses côtés, elle faisait genre de ne pas l'écouter non plus, perdant son regard dans les gens, sur la route qu'elle voulait prendre même si elle retournait vers là où elle voulait fuir. La brune ne prêtait attention qu'à Abe quand il agrippait son bras, un peu trop fort à son goût. Mais de toute façon, elle ne voulait plus qu'il la touche. Elle soufflait bruyamment, s'arrêtant en tentant de lui lancer un regard sombre où on pouvait plus voir le supplice. « Ouais, bien, il est là le problème. T'es là, t'existe, t'as pas moyen de remédier à ça ? » Et c'était bien trop cruel de lui demander de disparaître de ce monde juste dans l'espoir qu'il parte. Elle tirait un peu son bras dans l'espoir qu'il lâche prise. « Lâche-moi. » Elle crachait ses paroles, essayant de ne faire transparaître aucune expression qui pourrait la nuire. Et c'était complexe à réaliser, parce que tout lui remontait à l'esprit et qu'elle n'avait rien à lui reprocher directement. Abe avait tous les droits de faire ça, parce que dans une situation pareille, il n'y avait pas beaucoup de moyens d'avoir une réponse. « J'hésiterais pas à crier, tu le sais. » Attirer l'attention sur elle pour pouvoir s'échapper, lui chercher des problèmes à lui alors qu'il ne voulait que des réponses. Encore une fois, elle montrait encore toute sa stupidité. Mais elle ne voulait vraiment pas s'expliquer, pas au milieu des gens, nulle part, d'ailleurs. Elle ne voulait pas lui lâcher ces raisons comme ça. « Je ne vois pas ce que tu mériterais de mieux venant de ma part, t'as juste à faire avec. » Elle mentait encore. C'était bien trop difficile de l'oublier et elle ne le ferait sans doute jamais. Parce que même si elle ne l'avait pas montré, qu'elle n'en avait pas lâché un mot, elle s'en était attachée, un peu trop. « Je sais pas ce que tu attendais de moi, non plus. Alors, m'emmerde pas, Abe. » Elle n’avait jamais imaginée des retrouvailles pareilles, elle aurait voulu que tout se passe autrement. Elle ne voulait pas l’effacer de sa vie comme ça.